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Réchauffement climatique : des conséquences de plus en plus visibles sur les océans

Réchauffement climatique : des conséquences de plus en plus visibles sur les océans

Réchauffement climatique : des conséquences de plus en plus visibles sur les océans

Le GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, vient de publier un rapport spécial sur l’océan qui rappelle et martèle que les conséquences du dérèglement climatique, planétaires, sont l’affaire de tous. Un changement global dont les conséquences locales se font déjà sentir et qui pourrait notamment bouleverser l’économie de la pêche.

Réchauffement climatique Des conséquences de plus en plus visibles sur les océans

Le bilan est inquiétant, voire effarant. Alors que le réchauffement planétaire a déjà atteint 1 °C au-dessus des niveaux préindustriels, les scientifiques rappellent l’urgence à agir pour tenter de contenir et si possible enrayer le dérèglement climatique. Mercredi 25 septembre, le GIEC présentait son nouveau rapport sur l’océan et la cryosphère (l’ensemble des régions gelées de notre planète). Préparé par une centaine de scientifiques de plus de 30 pays, il fait la synthèse de 6 981 publications scientifiques et dresse un bilan saisissant de ce qu’on sait des impacts présents ou à venir du changement climatique sur les écosystèmes océaniques et côtiers ainsi que leurs conséquences pour les communautés humaines qui en dépendent. Il analyse notamment, à horizon 2040 et 2100, quatre scénarios d’évolution des concentrations des gaz à effet de serre, allant du plus optimiste – nous agissons efficacement – au plus pessimiste, surnommé par les experts « business as usual », que l’on pourrait traduire par « rien ne change ».

L’océan se réchauffe, devient plus acide et moins fécond

L’un des grands enseignements de ce nouveau rapport est que les conséquences sur l’océan à l’horizon 2040 sont désormais inéluctables. Quoi que nous fassions dans les années à venir, la machine climatique est lancée et l’océan en subira les conséquences. Les quatre scénarios montrent en effet que le CO2 déjà émis entraînera en 2040 un réchauffement climatique d’au moins 1,5 °C (objectif phare du dernier rapport du GIEC) par rapport à l’ère préindustrielle (nous en sommes déjà à 1 °C). C’est au-delà de 2040 que les scénarios divergent, en fonction des émissions qui interviendront dans les 10 ou 15 ans qui viennent.

Pour rappel, les activités humaines produisent chaque année environ 40 gigatonnes de CO2 (causées pour 91 % par nos émissions et 9 % par la déforestation). L’océan, véritable « pompe à CO2 », en absorbe chaque jour 26 millions de tonnes, soit environ 22 % des émissions. « Jusqu’à présent, l’océan a absorbé plus de 90 % de la chaleur excédentaire du système climatique. D’ici à 2100, il absorbera 2 à 4 fois plus de chaleur que pendant la période allant de 1970 à l’heure actuelle si le réchauffement planétaire est limité à 2 °C, et jusqu’à 5 à 7 fois plus si les émissions sont plus élevées », précise le rapport. Mais ce stockage qui permet de limiter l’effet de serre sur la terre n’est pas sans conséquence sur le milieu aquatique. Non seulement les eaux s’échauffent, par échange thermique avec l’atmosphère, mais l’afflux de CO2 provoque par ailleurs une acidification des masses d’eaux avec des conséquences fortes sur la biodiversité. La fonte des glaciers et des calottes glaciaires entraîne une élévation du niveau de la mer et les phénomènes côtiers extrêmes sont de plus en plus intenses. L’acidification des océans, qui a augmenté de 30 % ces dernières décennies, continuera de s’accroître pour atteindre 50 % à l’horizon 2040, selon toute probabilité. Le scénario le plus optimiste, qui requiert une action immédiate et concrète, permettrait toutefois de stabiliser la situation à ce niveau, et d’éviter une nouvelle dégradation au-delà de 2040. À l’inverse, le scénario du Business as usual nous entraînerait vers un véritable cataclysme à l’horizon 2100.

Vagues de chaleur et moules décimées

Parmi les conséquences à venir de ces bouleversements chimiques et physiques : l’augmentation de la fréquence et de l’intensité des vagues de chaleur marines. Ces épisodes locaux et transitoires, qui se traduisent par une brusque élévation de la température des eaux, ont d’ores et déjà doublé depuis 1982. Et ils ne sont pas sans conséquence notamment dans les zones de lagune, où les populations de coquillages sont particulièrement touchées. Ces dernières décennies, la Floride a connu des épisodes de vagues de chaleur où l’eau est montée localement à 38 °C. « Ce coup de chaud a entraîné une mortalité massive des moules qui ont littéralement cuit sur le fond ! » affirme Didier Gascuel, professeur en écologie marine à Rennes et auteur du livre Pour une révolution dans la mer. « En un à deux ans, les zones touchées se rétablissent, mais si les phénomènes deviennent trop fréquents, les conséquences pour les écosystèmes et l’économie locale seront très sérieuses », prévient-il. Plus près de nous, ce phénomène inquiète également les conchyliculteurs de l’étang de Thau, dans l’Hérault. En 2018, une vague de chaleur marine a décimé jusqu’à 60 % des stocks d’huîtres de la zone selon l’Ifremer (l’Institut français de recherche pour l’exploitation de la mer). Selon les projections des scientifiques, leur fréquence, leur durée, leur étendue et leur intensité devraient encore augmenter. « Elles seront 20 fois plus fréquentes si le réchauffement est de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels et 50 fois plus fréquentes si les émissions continuent d’augmenter fortement », précisent les experts du GIEC.

Des poissons-sangliers et des barracudas dans le golfe de Gascogne

Autre enseignement de ce rapport, le changement climatique entraîne un déplacement massif des aires de répartition des espèces (poissons, mollusques ou crustacés) vers les zones plus froides. Ce qui a des conséquences sur la pêche. Chez les poissons, on observe un déplacement de population pouvant atteindre plusieurs centaines de kilomètres par décennie. « Attention, cela ne signifie pas que les poissons migrent, mais que les spécimens les plus au sud d’une zone de distribution peinent davantage à se reproduire que ceux au nord de la zone. L’aire se déplace donc peu à peu », explique Didier Gascuel. En Europe, le phénomène est bien connu des pêcheurs de morue dont les populations se sont effondrées en mer Celtique et mer du Nord. Au point que scientifiques recommandent cette année une baisse de 70 % du quota de pêche en mer du Nord. À l’inverse, les stocks se sont renforcés en mer de Barents, au nord de la Norvège. « C’est la double peine pour les pêcheurs français qui n’ont pas de droit de pêche dans ces zones et voient leur pêcherie, déjà très affaiblie, se vendre à bas prix sur un marché saturé par les importations en provenance des pêcheries russes et norvégiennes », ajoute-t-il.

Autre exemple, on observe désormais dans le golfe de Gascogne des populations de plus en plus importantes de barracudas ou encore de balistes, habituellement présents sur les côtes africaines. Mais aussi des poissons-sangliers. Sous cet étrange nom se cache un poisson plein d’épines non consommable par l’homme ou par d’autres espèces maritimes. Sans prédateur, ce « cul-de-sac trophique », comme le qualifie Didier Gascuel, perturbe la chaîne alimentaire.

La surexploitation des ressources empêche le milieu marin de s’adapter

Les scientifiques qui recommandent que les quotas de pêche soient fortement revus en fonction de ces changements climatiques prévoient des bouleversements majeurs dans l’économie liée à la mer. Dans cette redistribution des cartes, le vrai problème est de savoir si les gains équivaudront aux pertes. Or, à l‘échelle planétaire, la tendance est à la baisse. D’ores et déjà, on assisterait à une diminution du nombre total de poissons dans l’océan de l’ordre de 2 à 3 % sur les dernières décennies. Et les experts estiment que la baisse pourrait atteindre 5 % en 2040, et sans doute 15 à 20 % en 2100 si rien ne change.

De plus, les conséquences du dérèglement climatique sur les ressources halieutiques seraient davantage accentuées dans les zones tropicales. Or l’Asie est de loin le premier acteur de la pêche mondiale, et concentre 90 % de l’aquaculture. Des pays comme la Thaïlande ou l’Indonésie pourraient voir leur économie fortement touchée. Pour sa part, l’Afrique, où la pêche nourrit en premier lieu l’économie locale, verrait son autosuffisance mise en péril.

Enfin, les experts soulignent le fait que continuer de surexploiter les ressources marines ne fera qu’aggraver les conséquences du changement climatique sur la faune aquatique. Pour Jean-Pierre Gattuso, chercheur au laboratoire d’océanographie de Villefranche-sur-Mer et membre du GIEC ayant participé au rapport, il est essentiel de rompre ce cercle vicieux : « Des études récentes montrent que limiter la surexploitation du milieu marin contribue à rendre les écosystèmes plus résilients face au changement climatique. Autrement dit, quand on supprime l’agression directe que représente la surpêche sur les milieux, ils résistent mieux au changement climatique. » Les scientifiques continuent de le répéter : il est urgent d’agir pour que le poisson cesse de se mordre la queue !

Marie-Noëlle Delaby